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de la cooccurrence autour du mot choisi dans le discours du qui
G. Pompidou - 22 septembre 1969
Conférence de presse tenue à l'elysée
Mesdames et messieurs , je suis heureux de vous voir . Vous savez que cette conférence de presse sera consacrée uniquement aux problèmes financiers , économiques et sociaux qui se posent à l' heure actuelle à notre pays , mais auparavant , si vous le voulez bien , je désirerais profiter de la présence des radios et de la télévision pour m' adresser au-delà de vous , et à travers vous , pendant quelques instants , à tous les Français . J' espère que je ne lasserai pas trop l' attention des spécialistes que vous êtes .
Le Gouvernement entreprend à l' heure actuelle un plan de redressement financier immédiat en même temps qu' il convie le pays à un effort plus durable . Du succès ou de l' échec dépend l' avenir de chaque Français , de même d'ailleurs que le succès ou l' échec dépend du concours de ces Français . Nous aurons beau accumuler les mesures techniques , si les Français se dérobent ils se retrouveront dans peu de temps dans une situation plus mauvaise , et que nul ne s' imagine pouvoir tirer son épingle du jeu ! Toutes les classes sociales subiront les contrecoups de ce qui serait un appauvrissement général . Mais ce que les Français ont le droit de savoir c' est quels sont la situation , les motifs , les raisons de l' action à laquelle on les convie .
En fait il est des causes accidentelles , de circonstance , il y en a d' autres qui sont plus profondes et plus permanentes .
De circonstance : en premier lieu les événements du mois de Mai 1968 qui ont provoqué un grand départ de capitaux flottants , étrangers , hélas ! aussi , français , fuite des capitaux qui s' est renouvelée au moment de la grande spéculation internationale sur le mark en novembre 1968 . En même temps la longueur de la grève nous a fait perdre plus d' un mois de production , au moment même où les augmentations de salaires allaient provoquer un accroissement de la consommation , et d'ailleurs depuis cette date , et bien que notre production ait atteint son maximum , nous n' avons cessé de consommer plus que nous ne produisions , ce qui fait que nous n' avons cessé d' importer plus que nous n' exportions . Le résultat c' est que notre pays se vidait petit à petit , lentement mais sûrement , de sa substance . Nous étions en somme dans la situation d' un accidenté qui a subi un choc brutal , qui semble s' en être remis , mais qui perd son sang par une petite blessure , l' hémorragie , même si elle est lente , même si elle n' est pas douloureuse , serait mortelle si on ne l' arrêtait pas . Il fallait donc l' arrêter , et la première des mesures à prendre , c' était de ramener notre monnaie à sa valeur véritable .
Au début d' une course longue et dure , un sportif qui se dope peut bien sûr franchir quelques étapes . Il finira par s' écrouler . Notre franc était dopé . Il fallait donc lui donner son cours réel . Cela a été l' objet de la dévaluation et , à partir de là , il fallait , et il faut rétablir ce que le ministre de l' Economie et des Finances a appelé les équilibres généraux , c'est-à-dire , en termes très simples , vendre au moins autant que nous achetons , ne pas consommer plus que nous ne produisons . Voilà pour l' immédiat .
Il y a bien sûr un certain nombre de faits plus profonds et plus durables . Depuis la guerre , depuis vingt ans , notre pays a fait des progrès considérables en matière économique . Ce fut d'abord en très grande partie , il faut bien le dire , grâce à l' aide étrangère et notamment américaine . Ce fut aussi , à partir de 1958 , grâce à notre redressement national , dont ce fut un des aspects et un des effets , et je tiens à l' affirmer d'autant plus hautement qu' il devient de mode d' en douter . La preuve , c' est que nous avons pu franchir les différentes étapes du Marché Commun , sans graves dommages , jusqu' en 1968 . La preuve , c' est qu' à l' heure actuelle , en période normale , nous exportons environ 12 % de ce que nous produisons , ce qui est encore très insuffisant ( l' Allemagne exporte 30 % ) , ce qui est déjà trop pour que nous puissions revenir en arrière . Nous ne pourrions nous abriter à nouveau derrière nos frontières , nous replier sur nous-mêmes qu' à condition de réduire notre activité , c' est-à-dire-de provoquer un chômage important . Il faut donc que nous continuions sur cette voie , qui est celle du développement de nos échanges extérieurs , et par conséquent que nous soyons armés pour affronter la concurrence internationale , concurrence de plus en plus dure , ce qui veut dire qu' il faut que nous produisions davantage et que nous produisions à des prix concurrentiels . Pour cela , il faut développer notre industrie et la moderniser , c'est-à-dire qu' il faut investir , et pour investir il n' y a pas de miracle , il faut de l' argent , ce qui veut dire qu' à moins de faire fonctionner la planche à billets , comme on disait , et de courir sans cesse devant l' inflation , il faut épargner .
Depuis vingt ans tout le monde , parce que les retards étaient énormes , parce que les besoins étaient pressants , a eu tendance à dépenser tout ce qu' il avait gagné , dès qu' il l' avait gagné , et même quelquefois un peu avant de l' avoir gagné . Il faut maintenant que l' Etat , que les administrations , que les municipalités et que les particuliers se donnent comme règle d' épargner d'abord pour investir et de ne dépenser , qu' il s' agisse d' un équipement dont on a envie , d' une amélioration de son niveau de vie que l' on souhaite , de ne dépenser qu' au fur et à mesure qu' on a vraiment acquis les ressources nécessaires à cette dépense , et de donner toujours par priorité une place à l' épargne .
Cela dépend , je le disais , de tout le monde , aussi bien de l' Etat que des particuliers , cela dépend de chaque Français , cela dépend en particulier des mères de famille et je prendrai si vous le voulez bien un exemple très terre à terre . Supposons qu' un salarié obtienne demain la promesse d' une augmentation importante au 1er janvier prochain , et que sa femme ait envie de changer sa machine à laver . Eh bien , elle peut se dire : Grâce à cette augmentation , au printemps j' achèterai ma nouvelle machine à laver , mais elle peut se dire aussi Achetons -la tout de suite , je vais emprunter , et nous rembourserons au fur et à mesure que l' augmentation rentrera .
C' est cette dernière attitude qui consiste à dépenser l' argent que l' on n' a pas gagné et qui , si elle se généralise , conduit à l' endettement national , à l' inflation , au retard dans les véritables progrès économiques , et finalement à l' appauvrissement relatif par rapport à nos voisins .
Je fais donc appel à tous et à toutes pour leur dire : dans les mois qui viennent , chaque fois qu' une mère de famille discutera un prix , refusera une hausse injustifiée , elle défendra le franc , chaque fois qu' elle retardera un achat qui n' est pas indispensable , elle défendra le franc , chaque fois qu' elle mettra un peu d' argent à la Caisse d' épargne , aux Chèques postaux ou à la banque , elle travaillera pour le développe ment du pays , c'est-à-dire pour la sécurité de sa famille et pour l' avenir de ses enfants .
Tout cela , voyez -vous , je sais bien que je n' aurais pas le droit de le dire si , dans le plan de redressement , le Gouvernement n' avait pas fait le nécessaire pour que les plus pauvres ne soient pas frappés et que la rigueur s' adresse aux plus riches . Mais je dis que jamais plan de cet ordre n' a été conçu dans un esprit plus social .
Aucun impôt nouveau ne frappe ni les petits revenus ni les salariés . L' augmentation de la vignette ne touche pas les petites voitures , le super-impôt sur le revenu ne touche que les gros revenus . Les sociétés , les banques sont lourdement taxées . Inversement , les petits salaires , les petits commerçants , les petits agriculteurs bénéficient de diminutions importantes . Tous ceux qui ont des revenus faibles ou modestes , si leur situation n' a pas considérablement changé , payeront moins d' impôts en 1970 qu' en 1969 .
D' autre part , nous avons pris , vous le savez , un certain nombre de mesures particulières pour les vieillards , les familles nombreuses , les rapatriés en situation particulièrement difficile , et nous allons en prendre d' autres en ce qui concerne le SMIG , par exemple .
J' ai donc le devoir et le droit , je le crois , de faire appel aux Français pour leur coopération , pour le succès d' un plan qui est leur affaire et leur succès et non pas le succès ou l' affaire du Gouvernement .
J' ajouterai-et ce sera pour terminer-que dans les 5 ou 10 années qui viennent , il faut que la France parvienne réellement à la vraie puissance économique .
Il faut donc que nous fassions tous un grand effort et un effort patient . Notre situation n' est pas mauvaise , nous avons déjà accompli de grands progrès , mais plus on a monté , plus il est dur de monter encore , les dernières marches sont les plus pénibles , les dernières étapes les plus difficiles .
Je dirai toujours aux Français la vérité . Je leur expliquerai toujours les motifs de notre action . Je leur exposerai toujours le sens et les raisons de l' effort qui leur sera demandé . Mais en échange , il faut que chacun accepte de dominer son intérêt personnel immédiat , de comprendre qu' il fait partie d' un grand effort collectif et que , dans les circonstances actuelles Plus que jamais , tout ce qui ralentit notre production , tout ce qui contrarie notre activité est néfaste pour l' intérêt général , par conséquent contraire à l' intérêt même de ceux qui s' imaginent , par leur action , s' assurer des avantages particuliers .
Je fais appel au bon sens des travailleurs . Chaque journée de travail perdue est perdue pour le redressement de la France . Les brimades infligées aux usagers des services publics ne sont pas seulement douloureuses , elles sont nuisibles à l' économie .
J' ai dit que le Gouvernement ferait respecter la loi et l' ordre républicain . Mais il ne s' agit pas de choisir entre l' ordre et le progrès , il s' agit de réaliser le progrès dans l' ordre , afin que la France soit de plus en plus prospère et que les Français puissent y vivre heureux .
Voilà , mesdames et messieurs , ce qui , le répète , s' adressait à tous les Français , et maintenant le vais me prêter à vos questions .
. -Je voudrais bien que mes déclarations soient examinées et discutées en elles-mêmes . Tantôt on veut y voir une critique vis-à-vis de la gestion qui a précédé mon élection-c'est un peu ce que vous sembliez laisser sous-entendre et je ne vous cache pas que cela m' attriste-et tantôt on veut y voir au contraire le désir de me concilier tel ou tel petit groupe , et alors je ne vous cache pas que je trouve cela risible . Je ne me décide pas par référence mais par conviction . Mais parlons de la dévaluation . Je serai très rapide et pourtant je remonterai à 1958 .
La dévaluation de 1958 décidée par le général de Gaulle et par monsieur Pinay avait été calculée à juste titre largement . Elle nous donnait une marge , ce qui était bien nécessaire , étant donné que notre économie n' était absolument pas préparée à affronter le Marché Commun . Mais , il faut bien le dire , au long des années , cette marge s' est amenuisée . Je le disais tout à l' heure , les besoins étaient pressants , les retards considérables , les meilleures raisons existaient pour anticiper sur nos ressources , de telle sorte que nos prix , lentement mais toujours , montaient un peu plus vite que ceux de nos voisins et en particulier que ceux de l' Allemagne malgré la petite réévaluation du mark qui est intervenue .
Le résultat , c' est qu' en avril 1968 , si vous le voulez , je considère que nous avions dévoré cette marge , que nous étions arrivés à ce que j' appellerai les limites de la compétitivité : qu' autrement dit dans une situation normale et à condition d' être très vigilants , nous aurions pu continuer à progresser , mais que nous n' étions pas suffisamment armés , que nous n' avions pas suffisamment de réserves pour résister à un choc brutal .
Ce choc est arrivé , Mai 1968 nous a fait perdre deux à trois milliards de dollars . Plus tard nous en perdrons encore 1 milliard , sans doute avec la spéculation sur le mark , et d' autre part l' augmentation des salaires a été en moyenne voisine de 15 % , ce qui peut être toléré lorsque l' on a des prix bas , c' est le cas en Italie , une certaine année , ou en Hollande une autre année , qui ne peut pas l' être sans effets profonds quand les prix sont déjà à la limite . C' est pourquoi j' ai pensé , en juillet 1968 , qu' outre la suppression du prélèvement sur les salaires de 5 % , une petite dévaluation de l' ordre de 6 à 7 % aurait permis de rétablir l' équilibre . D'ailleurs , vous avez vu que Edgar Faure a déclaré récemment que c' était aussi son avis et a confirmé en même temps que c' était le mien . Mais je ne critique pas pour autant l' attitude du Gouvernement de Couve de Murville . D'abord parce que c' est une chose très différente d' avoir une opinion et de prendre une décision définitive à une date donnée , et je n' étais pas au pouvoir . Ensuite parce que rien ne prouve qu' une autre politique n' aurait pas pu réussir s' il n' y avait pas eu la spéculation de novembre 1968 , et comme le dit aussi Edgar Faure , la suppression du contrôle des changes .
J' approuve , en revanche , entièrement le Gouvernement et le général de Gaulle d' avoir refusé la dévaluation en novembre 1968 , parce que dans les conditions où cela se présentait , en pleine crise , sous la pression extérieure , cette dévaluation , ou bien aurait été faible et vouée à l' échec , ou bien elle aurait été forte , sauvage , et cela eût été une agression également vouée à l' échec .
Il n' en reste pas moins que nous avons continué à perdre des devises , ne serait -ce que parce que le déficit commercial se maintenait , de l' ordre de 200 à 250 millions de dollars par mois , et c' est pourquoi je suis convaincu que la dévaluation devenait de plus en plus nécessaire et que seule la crise politique du printemps a empêché que le problème se pose en même temps d'ailleurs que cette crise accentuait encore le déficit de notre balance des paiements . C' est pourquoi , en effet , dès mon arrivée à la Présidence , j' étais décidé à dévaluer , la seule question qui se posait , outre le taux , étant , selon moi , celle de la date . Celle -ci , je crois , n' a pas été trop mal choisie puisque , pour la première fois , tous les spéculateurs en puissance ont été pris de court . Alors , j' irai au-devant de vos objections . Vous me direz : ce n' est pas une critique . Admettons . Mais alors , pourquoi l' avez -vous dites Je l' ai dit parce qu' il fallait couper court à une campagne qui s' amorçait et qui consistait à dire-revoyez les journaux autour du 15 août-que nous avions agi dans la précipitation , dans la panique et au bord de la faillite . Or , c' était faux . Nos réserves , les prêts dont nous disposions , ce que nous aurions pu obtenir encore nous auraient facilement permis de gagner un certain nombre de mois ou plutôt de perdre un certain nombre de mois . Mais cette décision , qui n' était pas de panique mais réfléchie , il fallait qu' on se rende compte qu' elle était volontaire , afin de dissiper la méfiance , pour donner à notre action la possibilité de la réussite . Voilà pourquoi je l' ai dit et je répondrai encore à une autre objection qui est certainement dans quelques esprits puisque je l' ai lue : pourquoi n' avez -vous pas dit cela dans votre campagne électorale et pourquoi avez -vous trompé les Français ? Je réponds tout d'abord que je n' allais pas annoncer une dévaluation trois mois à l' avance , bien entendu , et que même tous les usages m' autorisaient à la démentir formellement . Mais reprenez toutes mes déclarations de la campagne électorale , je n' ai jamais-dit qu' il n' y aurait pas de dévaluation parce que je ne voulais pas mentir . Je m' en suis tenu à des considérations générales , à un optimisme prudent , et lorsque l' on m' a posé la question brutalement , j' ai dit que je ne répondrai pas parce que ma réponse ne pouvait pas avoir de sens . Et même à ce moment -là je me suis dit que peut-être des observateurs subtils en concluraient que j' avais l' intention de dévaluer . Grâce au ciel , cela ne s' est pas produit .
. -Je pense d'abord que tant que notre commerce extérieur ne sera pas redressé , il y aura , il ne pourra pas ne pas y avoir une certaine faiblesse du franc comme d' un certain nombre d' autres monnaies sur les marchés internationaux , surtout que l' idée possible d' une réévaluation du mark est agitée par tout le monde , y compris , vous le savez , par les membres du Gouvernement allemand . Je crois , d' autre part , que les mouvements de grève et les commentaires qu' ils ont suscités et que , peut-être , certaines menaces nées de certains débats parlementaires ont pu créer quelque émotion . Je ne crois pas que cela puisse être grave .
. -La question est évidemment immense . En ce qui concerne les perspectives immédiates , je pourrais vous dire que le ministre de l' Economie et des Finances a déjà répondu . En ce qui concerne les perspectives plus lointaines , le Premier ministre , dans l' excellente déclaration qu' il a faite à l' Assemblée nationale , et que vous rappeliez , y a aussi répondu en très grande partie . Néanmoins , votre question m' incite à essayer de cerner le problème d' une façon un peu différente , c' est ce que je vais essayer de faire , et d' une manière qui ne soit pas trop ingrate , encore que , lorsqu' on regarde une économie et qu' on veut en quelque sorte faire son autopsie on se heurte à des données chiffrées , données contre lesquelles on ne peut rien mais qui sont ingrates à énumérer et quelquefois pas très encourageantes .
Je crois qu' une première constatation qu' on a déjà faite ( mais dont je ne crois pas qu' on mesure toute l' importance ) , c' est l' extraordinaire décadence de la France économique entre les deux guerres .
En 1913-tous les chiffres que je vous donnerai seront en francs 1968 , si vous le voulez bien -en 1913 le revenu national français par tête était de 5000 francs en moyenne . En 1938 , vingt-5 ans plus tard , il était de 5500 francs .
Il avait donc augmenté de 10 % en vingt-5 ans , ce qui est presque insensible au fil des années . Et ce qui est plus grave , c' est que si l' on donne à la production industrielle française , en 1938 , le coefficient 100 , en 1913 , elle était au coefficient 109 , autrement dit , en vingt-5 ans , notre capacité industrielle avait diminué de près de 10 % . Et dans un monde qui s' industrialisait sans cesse , notre pays , grande puissance industrielle à la fin du dix-neuvième siècle , était sur la vole du sous-développement industriel .
Deuxième constatation , plus réconfortante : depuis la guerre , nous avons fait d' immenses progrès à partir d' une situation déplorable , car la défaite de 1940 qui n' était que la traduction militaire de cette maladie de langueur , avait été suivie par l' occupation , les destructions , et la situation de départ était donc aussi mauvaise que possible . Nous avons fait d' immenses progrès . Le revenu national-par tête , toujours-de 5500 francs en 1938 passe en 1958 à 8700 francs et en 1968 à 12450 francs . C' est une croissance très importante .
Je n' ai pas trouvé d' autres statistiques internationales que celles de 1960 à 1968 , mais dans cette période , pour les pays dits d' économie libérale , la France arrive au second rang avec une augmentation annuelle de 5-5 % , loin derrière le Japon qui dépasse 10 % , mais devant les Etats-Unis , l' Italie ( 5-1 l' Allemagne ( 4-2 % ) , et cetera .
Troisième constatation -elle aussi réconfortante-c'est que , dans l' ensemble de ce revenu national , la part de l' industrie a crû considérablement . Non pas que notre agriculture soit restée stagnante : de 1958 à 1968 sa production en volume , en marchandises , augmente de 40 % , et comme , dans le même temps , le nombre des agriculteurs actifs diminue de près de 30 % , en fin de compte la productivité de l' agriculteur actif augmente de près de 8 % par an , plus que la moyenne nationale . Je n' oublie pas bien sûr qu' il y a des différences importantes par région . Mais l' industrie croît de façon très rapide . Je parlais tout à l' heure de ce coefficient 100 en 1938 . On devait être en 1958 à quelque chose comme le coefficient 212 , et en 1968 à 352 .
C' est dire l' importance des progrès réalisés , progrès qui se retrouvent d'ailleurs dans nos exportations qui ont augmenté en moyenne dans les 10 dernières années d' un peu plus de 9 % par an , et ce qui est beau aussi , les exportations de produits industriels transformés ont crû de 10 % par an , soit un peu plus que la moyenne . Mais , et c' est ici que je vais commencer à nuancer l' optimisme , c' est tout à fait insuffisant . C' est insuffisant parce que nos voisins font mieux , et parce que , d'ailleurs , dans les dernières années , cela s' est un peu dégradé et la part des produits industriels transformés a commencé à diminuer .
Et nous arrivons à des constatations qui sont certainement sévères : toujours en 1913 , dans un pays de moins de 40-1 lions d' habitants , il y avait 20 millions et demi d' actifs- , c'est-à-dire 52 % de la population . En 1969 , dans un pays de plus de 50 millions d' habitants , il y a toujours 20 millions et demi d' actifs , soit une proportion d' à peine 41 % . Naturellement les explications sont faciles et dans une certaine mesure agréables : c' est parce que l' on vit plus longtemps , c' est parce que la France a eu davantage d' enfants , c' est parce qu' on a prolongé la scolarité . Il n' en est pas moins vrai que 20 millions et demi de Français doivent en nourrir aujourd'hui 11 millions de plus qu' ils n' en nourrissaient au début de ce siècle , et cette proportion , malheureusement , ne va pas s' améliorer , elle va au contraire diminuer en 1970 , en 1971 . Ce n' est qu' en 1974 que nous trouverons probablement 21 millions d' actifs et encore à ce moment -là la proportion sera inférieure à la proportion actuelle . C' est dire qu' il ne faut pas envisager à la légère des diminutions rapides et massives de la durée du travail , ou un abaissement inconsidéré et généralisé de l' âge de la retraite . Ce sont des constatations pénibles à faire mais qu' il faut avoir le courage de faire , parce que les chiffres sont là et qu' ils sont implacables .
J' ajoute qu' à l' intérieur de cette population active la répartition n' est pas satisfaisante . Toujours en 1913 , il y avait 7 millions et demi d' agriculteurs , il n' y en a plus que trois millions . Où sont passés ces quatre millions et demi de travailleurs qui ne sont plus dans l' agriculture ? Ils ne sont pas passés dans l' industrie . Nous avons à l' heure actuelle dans l' industrie , à quelques milliers près , le même nombre de travailleurs qu' en 1913 : un peu moins de 6 millions . C' est dire d'ailleurs , au passage , les progrès de notre productivité puisque nous avions plus que triplé notre production sans augmenter le nombre de travailleurs . Mais où sont -ils passés , alors , ces quatre millions et demi ? En partie dans le bâtiment et les travaux publics , mais surtout dans ce qu' on appelle le secteur tertiaire , à savoir les fonctionnaires , les employés , les professions libérales , le commerce . Il y a donc un premier effort à faire pour améliorer ces conditions . Je n' ai pas besoin de vous dire que l' Etat ne peut pas grand-chose pour augmenter le nombre des actifs .
Bien sûr , il y a l' immigration , mais qui reste toujours marginale , la durée du service militaire -nous avons déjà beaucoup fait dans ce domaine et vous savez que prochainement la loi le ramènera à un an . Nous avons donc fait le maximum . Quant à la proportion d' actifs dans l' industrie , là on peut agir par l' information et par la formation , en particulier par la formation dans l' Université à tous les échelons . Il faut que l' Université s' y prête , non pas , bien sûr , qu' elle se donne uniquement des objectifs économiques mais qu' elle cesse tout de même d' ignorer systématiquement , comme elle le fait parfois , les urgences nationales .
Et puis , quand on regarde notre industrie elle-même , elle a de très nombreuses faiblesses , d'ailleurs le Premier ministre sur ce point a longuement parlé de l' insuffisance de nos grandes entreprises : trois entreprises françaises seulement parmi les trente entreprises européennes de taille mondiale .
Insuffisance plus grave peut-être de nos entreprises moyennes qui sont partout , notamment en Allemagne et aux Etats-Unis , le support , l' accompagnement de la grande entreprise et le ferment souvent du progrès , et , en revanche , nombre excessif de toutes petites entreprises . Insuffisance des structures internes de notre industrie .
Les charges salariales , contrairement à ce que l' on dit , ne sont pas plus fortes en France qu' ailleurs , elles sont même plus faibles qu' en Allemagne par exemple , mais elles sont mal réparties , il y a dans nos affaires une part de charges administratives , trop lourdes , trop grandes , et en conséquence ces charges salariales qui collectivement , qui globalement , ne sont pas trop lourdes , s' appliquent finalement à un nombre de travailleurs réellement productifs plus faible qu' ailleurs .
C' est dire que nous avons énormément de progrès à accomplir même si nous en avons déjà fait . Je n' ai pas le temps , et ce n' est pas le lieu , de développer ce que pourrait être l' action des Gouvernements en ce domaine dans les années qui viennent . Je m' en tiendrai à quelques données générales .
Il faut d'abord naturellement poursuivre la modernisation de notre agriculture et le regroupement des toutes petites exploitations agricoles . Il faut faire la même chose dans le domaine du commerce , permettre l' accroissement modéré , mais régulier , du grand commerce moderne , et le regroupement , la spécialisation du petit commerce , de façon à ce qu' il devienne non seulement rentable pour ceux qui l' exercent mais utile à l' économie , et non pas qu' il pèse sur les prix .
Il faut surtout aider l' industrie , ce qui signifie lui donner les moyens matériels , financiers , de se-développer , ce qui suppose une politique fiscale , une politique de crédit , une politique de l' épargne qui favorise l' investissement . Il faut ensuite lui donner les moyens humains , ce qui suppose depuis le collège technique jusqu' aux grandes écoles en passant par les instituts universitaires de technologie , d' orienter le plus possible notre jeunesse vers l' industrie , de lui donner une formation professionnelle adaptée , de faire que cette formation professionnelle puisse sans cesse être reprise par un contact permanent et souple entre notre Education nationale et le monde économique et social . Il faut ensuite donner à cette industrie les moyens , je dirais psychologiques , de son développement , en la libérant des contraintes excessives des contrôles a priori , aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public , et instaurer et favoriser l' esprit d' initiative et l' imagination , à condition qu' à tous les échelons de ces entreprises on soit pénétré de l' indispensable notion de rentabilité et non pas simplement de rentabilité immédiate , financière , matérielle , mais aussi de rentabilité à terme , technique , intellectuelle , par la recherche notamment . le sais bien que certains trouvent que la rentabilité est une notion basse , honteuse . Eh bien ! elle s' impose partout , c' est évident , le nier , c' est puéril . La preuve , c' est que les pays d' économie socialiste , pour l' avoir méconnue trop longtemps , ont ces dernières années pris un retard considérable par rapport aux pays d' économie libérale de taille comparable , qu' ils en supportent à l' heure actuelle les effets et les conséquences , que leurs Gouvernements en sont parfaitement conscients et font à l' heure actuelle de grands efforts pour introduire cette notion de rentabilité à tous les échelons de leur appareil productif .
Enfin , il faut que notre appareil économique , industrie , commerce , agriculture , prenne une mentalité , j' ose le dire , agressive , qu' il se porte à l' attaque , qu' il se porte à la conquête des marchés extérieurs , qu' il ait le goût d' aller se battre sur le terrain des autres exactement comme les autres dès maintenant viennent se battre sur notre terrain . Il y a là une très grande entreprise , et dont dépend non seulement la prospérité des Français mais la grandeur et le rôle de la France dans le monde .
Bien entendu , tout cela suppose , je le sais , un climat social rénové et la participation de tous à cet effort et aux résultats de cet effort .
...
.-Monsieur de Montalais , si un autre que vous me posait la question , j' y verrais de la malice et , en effet , quelques-uns ont bien voulu observer que je ne prononçais pas souvent le mot de participation . Vous voyez , il vient de m' échapper . Et si je l' ai peu prononcé , c' est que depuis que le général de Gaulle l' a employé , il a été , à mes yeux , fort galvaudé .
L' interprétation qu' en donnent certains conduit dans un régime de parti et de syndicat uniques à la soviétisation pure et simple , et dans un régime démocratique à l' installation dans l' entreprise du régime d' assemblée et de l' anarchie . Ces perspectives ne sont pas les miennes .
Cela ne veut pas dire que je n' ai pas mes idées sur la participation . Je crois d'abord que l' homme ne doit pas se laisser réduire à l' état de robot soumis à un appareil communiste ou capitaliste , au demeurant peu importe . Je crois d' autre part que l' homme ne peut pas vivre isolé et que le mal de l' homme actuel , de l' homme moderne , c' est la rupture des attaches , et que l' homme qui n' a plus d' attaches est entraîné , qu' il le veuille ou non , et fût -ce à travers la révolte , vers la servitude . Il faut donc recréer des attaches . Il faut que l' homme se trouve dans un ensemble ou plutôt dans une série d' ensembles superposés , avec un rôle , une possibilité de s' épanouir , c'est-à-dire des droits et des services à rendre , et des obligations à remplir , c'est-à-dire des devoirs . Droits et devoirs additionnés , cela s' appelle responsabilités .
Cela s' applique à la famille , à l' Université , à la profession , à la cité , à la région , à la nation .
Et l' entreprise , me direz -vous ? J' y viens . L' entreprise est un ensemble , une cellule comme une autre . Et là aussi l' individu doit avoir des droits et des devoirs , donc des responsabilités . Pour cela il faut d'abord un aménagement , et je dirais une réorganisation profonde des conditions de travail dans les entreprises de façon à ce que chacun dans son métier sache l' intérêt de ce qu' il fait et ait une part , fût -elle modeste , d' autonomie , c'est-à-dire de décision .
C' est d'ailleurs la vole moderne , la voie de l' efficacité , celle vers laquelle se tournent les entreprises américaines les plus dynamiques , c' est aussi la seule voie qui donne une espérance à l' homme parce que l' homme mécanisé est toujours inférieur à la machine et que ce n' est que dans la mesure où on donne une place à l' initiative , à la volonté , que l' homme reprend le dessus sur la machine . Et puis , en second lieu , il faut que dans cet ensemble le travailleur sache ce que signifie son comportement , vers quoi il tend , vers quel objectif , quelles sont ses perspectives de développement , les difficultés rencontrées . Cela suppose de la part des directions un grand effort d' information qui est d'ailleurs valable pour les actionnaires aussi bien que pour les travailleurs . J' ajouterai qu' il faut aussi une large participation des cadres et de la maîtrise aux études et aux discussions qui précèdent les décisions . Et puis il y a les résultats . .
On m' a reproché d' avoir fait l' éloge du profit . Préfère -t-on que nos entreprises perdent de l' argent ? Si c' est cela , il faut le dire . Je n' ai d'ailleurs jamais dit , et je ne me soucie pas de dire aux individus : Enrichissez -vous ! J' ai dit : Il faut que nos entreprises gagnent de l' argent . Le profit d'ailleurs change de sens et en tout cas doit changer de sens : il ne doit plus être une marge prélevée au bénéfice de quelqu'un ou de quelques-uns . Une direction qui dilapide les résultats , les capitalistes qui vident une affaire à leur profit , des frais salariaux excessifs faute d' une bonne organisation , ce sont des formes différentes d' un même fléau économique et par conséquent d' un fléau social . Le profit doit être désormais regardé comme une garantie d' avenir et une assurance sur la vie d' une entreprise . Il est une prime payée pour la sécurité de l' emploi au moins autant que du capital . Mais réinvesti sous une forme Ou sous une autre dans l' entreprise il ne doit pas pour autant être transformé en bénéfice , en capital des seuls actionnaires .
C' est là d'ailleurs la raison d' être et l' ordonnance du 17 août 1967 dont quelques-uns affectent de mésestimer ou de minimiser l' importance , et qui n' en a pas moins donné lieu , à l' heure actuelle , première année où elle pouvait être appliquée , à des contrats touchant déjà près de 4000 entreprises , et intéressant déjà deux millions de travailleurs . Nous savons très certainement que d' ici à la fin de l' année de nombreux autres contrats seront signés . De toute manière , c' est une expérience qui ne fait que commencer , et revêtira les formes les plus souples et les plus diverses .
Parmi ces formes figure l' actionnariat des travailleurs . C' est une vieille idée . Il me semble qu' elle reprend de la vigueur . Elle a l' intérêt d' associer les travailleurs à la vie de l' entreprise autrement que par les seules variations de salaires . Elle constitue ainsi , en même temps qu' un effort de justice , une école de responsabilité , et c' est pourquoi je crois qu' il faut l' encourager . Et comme je préfère les actes aux phrases , j' ai décidé d' inviter le Gouvernement , dans des formes et des conditions , notamment d' ancienneté , à étudier , à distribuer aux travailleurs de Renault une partie du capital de la Régie . C' est une expérience qui permettra peut-être de voir si l' on peut abattre les barrières entre le travail et le capital , et de voir si cette forme d' intéressement qui est économiquement la plus saine , et socialement la plus satisfaisante , répond à un besoin réel et durable chez les salariés .
Je n' en dirai pas plus sur les modalités aujourd'hui : c' est une décision dont je pense qu' on mesurera l' importance .
Je voudrais ajouter quelque chose . Lorsque j' ai parlé de Napoléon , à Ajaccio , un certain nombre de commentateurs ont trouvé que je ne prenais pas assez le style épique . Je viens de parler de choses graves , de rapports sociaux , de la condition ouvrière et il y en a peut-être qui trouveront que je n' ai pas pris le style assez lyrique . Je voudrais leur dire que c' est volontaire et je ferais volontiers mienne la pensée de Braque : " Je ne cherche pas l' exaltation , la ferveur me suffit . "