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de la cooccurrence autour du mot choisi dans le discours du qui
G. Pompidou - 8 décembre 1972
Discours à l'occasion du centenaire de l'ecole libre des sciences politiques
En me demandant de présider la célébration du centenaire de l' Ecole libre des sciences politiques , votre bureau n' a pas fait appel à un des anciens élèves les plus studieux . Normalien , il me prit envie d' obtenir le diplôme dont prestige nous paraissait à l' opposé de celui de Normale . L' exemple m' en était donné par quelques camarades dont Louis Poirier , illustre sous le pseudonyme de Julien Gracq , ou René Brouillet , aujourd'hui ambassadeur au Vatican . Mais nous estimions , rue d' Ulm , être dans le sanctuaire du travail de la vraie culture et des fils du peuple . Nous considérions la rue Saint-Guillaume comme celui de la bourgeoisie , de la superficialité et du farniente . Quand je pris contact avec " les Sciences Po " , la lecture des programmes modifia quelque peu mes idées . Certes , les étudiants appartenaient en très grande majorité à la bourgeoise , mais il me sembla que beaucoup travaillaient , et qu' ils y avaient énormément à apprendre .
Lâchement , je me réfugiai dans la section générale , me classant ainsi d' emblée parmi les adeptes effectifs de la superficialité et du farniente . Avouons -le , j' aurais peu appris , et par ma faute , rue Saint-Guillaume si , après la guerre et la création de l' Institut , monsieur Chapsal ne m' avait demandé de diriger une conférence complète d' année préparatoire : histoire , géographie , économie politique , droit public .
C' est en enseignant à mes étudiants ces disciplines que je me suis formé moi-même . A quoi ? Mais à la politique , bien sûr ! Car si la plupart des meilleurs traditions de l' Ecole libre ont survécu à sa transformation en Institut , si , je le pense , les études sont devenues plus austères , plus diversifiées et plus rigoureuses , peut-être un peu moins aérées sur l' extérieur en dépit ou à cause d' une légère tendance à céder à la mode , du moins est -il une certitude : ceux qui , autrefois comme aujourd'hui professeurs ou étudiants , ont fréquenté la rue Saint-Guillaume , quelles que soient leurs préoccupations d' avenir ou de carrière , étaient et sont tous intéressés et souvent passionnés par la Politique . J' entends politique au sens le plus élevé et le plus large du terme , qui englobe l' étude des sociétés , des économies , des institutions , des rapports internationaux , mais aussi de l' homme . Valéry l' a dit : " Toute politique implique quelque idée de l' homme . " Par exemple et pour être tout à fait sommaire , je dirai qu' une authentique politique de gauche au sens où l' ont entendue les socialistes français , de Rousseau à Jaurès et d' Albert Thomas à Léon Blum , implique une vue optimiste de la nature humaine . L' âpreté des rapports sociaux ou économiques , la dureté glacée des relations internationales , non seulement répugnent à ce type d' esprits , mais leur paraissent anormales et fondamentalement inadaptées . Les hommes ri , aspirent qu' au bonheur , les peuples qu' à la paix , et seule la malfaisance de l' organisation sociale ou du système politique les empêche d' y atteindre . L' homme de droite , au contraire , le vrai , est l' homme du péché originel . Il croit que la nature humaine est mauvaise , que la loi de l' espèce est la lutte pour la vie , donc le combat contre les autres , qu' on ne conduit les hommes qu' en leur imposant sa volonté : oderint , dum metuant , qu' on ne les retient qu' en flattant leurs instincts terre à terre ou en sachant , en tout cas , qu' ils réagissent en fonction de ces instincts . " Je commence d'abord par croire le mal " , dit Napoléon . Eh bien , il me semble que la vérité est dans l' entre-deux . Je ne crois pas que l' homme soit foncièrement mauvais , ni foncièrement bon . Il est toujours ou presque l' un et l' autre . Sans doute est -il contraint de vivre , ce qui veut dire gagner sa vie et celle de sa famille , tâcher de mieux la gagner , et par conséquent , non pas seulement bien travailler , mais essayer de progresser aussi par rapport à autrui , seul moyen qu' on ait trouvé à ce jour de gagner davantage , que ce soit en gravissant les échelons d' une administration , d' une entreprise , ou bien dans la compétition industrielle ou commerciale . Quand on me dit que les Français sont d'abord intéressés par le prix de la vie , par leurs problèmes de logement , par les impôts , je ne les en blâme pas . Cela me paraît lié à des nécessités naturelles dont la négation conduirait quelques-uns à la sainteté et l' immense majorité à la misère . Mais il m' apparaît aussi que dès lors qu' il a pu satisfaire ses besoins élémentaires , l' homme dépasse les préoccupations purement matérielles et aspire à autre chose , qui s' appelle l' amour , l' art , la générosité , le besoin de savoir , la poursuite de l' inconnu , le désir de créer , que sais -je encore ? A cette conception finalement plutôt optimiste de l' individu correspond une vue plus pessimiste des Etats . Bien sûr , tous les peuples ne souhaitent que la paix , et les campagnes pour le désarmement , contre la bombe atomique , pour la fraternité universelle trouveront toujours l' appui populaire . Mais voilà que les Etats se trouvent constamment confrontés dans leurs intérêts économiques , territoriaux , idéologiques . Les forts cèdent à la volonté de puissance , les faibles à la peur ou à l' imprudence . L' histoire leur enseigne la haine ou la méfiance vis-à-vis de leurs voisins , la géographie les incite à la conquête ou à la capitulation , l' idéologie , le racisme les guident aux affrontements . " La guerre , a dit Clausevitz , n' est que la politique continuée par d' autres moyens . " Et à ce qu' on Imaginerait être l' autre extrémité de la pensée politique , on prête au président Mao-Tsé-toung cette rude parole : " La politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre une politique sanglante . " Quels sont d'ailleurs les moyens de la politique qu' enseignent l' histoire et la réussite à nos futurs diplomates , sinon la volonté de puissance nationale et c' est Richelieu comme ce sera Disraeli le double jeu et c' est Talleyrand , le fer et le sang , et c' est Bismarck , la ruse et la cruauté , et c' est Staline ! Je pourrais allonger la liste .
Voilà donc une vue de l' homme qui repose sur deux idées simples : l' homme n' est ni ange ni bête , il est et ne peut être que les deux à la fois . En second lieu , les rapports de groupes sont plus durs que les rapports individuels , et cette dureté se manifeste à l' extrême dans les rapports entre Etats , effet de multiplication peut-être , mais plus encore de la permanence des rivalités , comme le prouve à l' échelle individuelle l' âpreté des problèmes de mur mitoyen . Peut -on en déduire une politique quant à la France et aux Français ? S' agissant de la France , de sa place et de son rôle dans le monde , il faut d'abord en prendre la mesure . Quelqu'un qui n' a jamais été mon maître à penser , tant s' en faut , Charles Maurras , a , dans Kiel et Tanger , dès 1910 , prévu le monde actuel , je cite : " composé de deux systèmes : plusieurs empires avec un certain nombre de nationalités petites ou moyennes dans les entre-deux .
" Un inonde ainsi formé , continue Maurras , ne sera pas des plus tranquilles . Les faibles y seront trop faibles , les puissants trop puissants et la paix des uns et des autres ne reposera guère que sur la terreur qu' auront su s' inspirer réciproquement les colosses . Société d' épouvantement mutuel , compagnie d' intimidation alternante " . C' est bien là ce que nous voyons , n' est -ce pas ? J' en conclus que l' action de la France , aujourd'hui puissance moyenne typique , est simple et évidente . D'abord , avant tout , développer nos propres forces , démographique , économique et militaire , suffisamment pour compter et pour être respecté . Ensuite , aider le plus possible les faibles et les dispersés , ceux qui ne souhaitent pas s' abandonner aux puissants et qui n' ont pas les ressources nécessaires pour exister seuls , cela s' appelle coopération . Cette coopération que critiquent quelques esprits plus aveugles encore qu' avaricieux et qui ignorent que le repliement sur soi-même serait la pire conception des Intérêts français . Enfin , si possible , regrouper nos forces avec d' autres en fonction des réalités historiques , géographiques et humaines : cela s' appelle faire l' Europe , une Europe qui soit elle-même et qui , sans prétendre être française , ne soit pas non plus destructrice de notre personnalité nationale . C' est , n' est -il pas vrai , dans ces trois voies que nous avançons ? Depuis la fin de la guerre , et particulièrement depuis une quinzaine d' années , beaucoup a été réalisé pour refaire les forces de la France . Les perspectives sont plus qu' encourageantes . Certains instituts de prévision américains et japonais , par exemple , s' accordent à penser qu' en 1985 la France sera le troisième pays au monde pour le revenu par tête d' habitant , après le Japon et les USA précisément , et le quatrième pour le revenu global , l' URSS s' intercalant . Sur le plan militaire , notre capacité de dissuasion a atteint et va dépasser le seuil de crédibilité à partir de quoi nous sommes à l' abri de tout , sauf d' un cataclysme universel , et les critiques que l' on exprime ici ou là , par naïveté ou par calcul , sont d' une légèreté criminelle . Notre politique de paix et de coopération nous assure vis-à-vis des Etats du tiers monde une place privilégiée qu' illustre la sympathie dont nous sommes entourés aux Nations-Unies . Quant à l' Europe , elle est de nos entreprises extérieures la plus difficile , elle ne dépend pas que de nous , mais la fermeté de notre foi nationale ne nous empêchera pas de poursuivre avec obstination l' œuvre de regroupement de vieux peuples qui furent , chacun à son tour , les premiers du monde et que leurs déchirements conduisirent l' un après J' autre au bord du néant .
Plus ardue , ah ! combien plus ardue est la politique l' égard des Français eux-mêmes ! L' orgueil de la victoire de 1918 et la terrible saignée humaine dont elle avait été le prix nous conduisirent tout droit à l' effondrement de 40 . Nous vivions sur des illusions , notre démographie déclinait , notre économie ne retrouvait même pas le niveau de 1913 , nos gouvernants-si on ose employer ce terme , car que gouvernaient -ils ? -fluctuaient entre une aveugle vanité et une clairvoyante impuissance . Le choc de la défaite , l' extraordinaire aventure du général de Gaulle , et sans doute une réaction en profondeur de notre race , nous ont rendu la vitalité , un certain goût du risque et même des ambitions . Mais deux obstacles se dressent encore devant nous et qu' il nous faut dominer : le premier , qui se rattache au souvenir de la dernière guerre , est un obscur sentiment d' être dépassés , d' être condamnés à nous replier sur la recherche du seul progrès matériel , du bonheur individuel , le sentiment que la France en tant que nation est condamnée aux rôles de second plan , que , par exemple , elle doit s' en remettre à d' autres de sa politique extérieure et de défense . Rien , je l' avoue , ne m' est plus pénible que les appels à la médiocrité , à l' abaissement qu' on baptise sagesse , appels que certains n' hésitent pas à proférer par rancune du passé , hostilité au présent ou appétit successoral . Que l' on veuille tout transformer , voire tout bouleverser , conquérir le pouvoir , c' est dans la nature des choses , mais que ce soit pour proposer à la France un avenir de grandeur et non de soumission ! Et que l' on nous épargne ces soupirs hypocrites de satisfaction chaque fois que l' on a cru discerner un échec de la politique française . Le peuple français a besoin qu' on le conforte dans sa confiance en lui-même et jamais cette confiance n' a été plus justifiée . Puissent nos hommes politiques , à quelque parti qu' ils appartiennent , en faire leur règle .
Le second obstacle est sans doute le plus rude . Il tient , nous ne le savons que trop , au caractère même de notre race , à cette versatilité que César discernait et utilisait déjà contre les Gaulois et qui fait que le peuple français , peuple épris de calme , de paix et de stabilité s' il en est , ressent périodiquement et par crise un besoin inconscient et incontrôlé de changement , et d' un changement qui remet tout en cause , non seulement les hommes , mais les principes , mais les institutions . Aucun pays n' a usé autant de constitutions que le nôtre .
Aucun n' a aussi régulièrement , du jour au lendemain , trahi ses idoles , quitte à leur rendre hommage après leur mort .
Ainsi de Clemenceau , de Poincaré , du maréchal Pétain , du général de Gaulle lui-même en avril 1969 . Or , rien ne s' accomplit que dans la durée , rien ne s' acquiert que par la patience , tout se perd par la turbulence . Je ne puis m' empêcher d' évoquer l' exemple de l' Athènes antique . Au demeurant , l' histoire des cités grecques se détruisant elles-mêmes jusqu' au jour où elles tombèrent sous le joug de Philippe n' est -elle pas une préfiguration de l' Europe du vingtième siècle ? Il n' est pas jusqu' au mode de gouvernement qui ne nous rapproche , depuis que la radio et la télévision ont substitué en partie à la pure démocratie représentative du dix-neuvième siècle la démocratie directe que permettait la faible dimension de la cité grecque . Il se trouve en effet que , comme Athènes , nous nous sommes donnés , je cite ici Périclès : " un régime politique qui ne se propose pas pour modèle les lois d' autrui " . Notre Constitution cherche , dans l' équilibre entre régime présidentiel et régime parlementaire , à concilier stabilité et liberté , autorité et contrôle , en même temps que souplesse dans la solution des crises . Or , voici qu' on l' attaque précisément à cause de sa spécificité qui fait sa force et nous épargne seule le choix entre le coup d' Etat , l' anarchie , ou la crise permanente . Je relisais récemment , vous l' avez sans doute deviné , l' admirable discours que Thucydide prête à Périclès au début de la guerre du Péloponnèse . J' y retrouvais tous nos principes , ceux que nous devons sauvegarder à tout prix et qui peuvent à tout moment être remis en cause : liberté , égalité devant la loi , grandeur de la patrie , acceptation des règlements et respect de la magistrature qui veille à leur application , place prééminente réservée à la culture , recherche du bonheur individuel et collectif . Et j' y lisais cette phrase essentielle : " Pour l' éducation , contrairement à ces gens ( il s' agit de Sparte , mais nous connaissons des Spartes modernes ) , contrairement , dis -je , à ses gens qui établissent dès la jeunesse un entraînement pénible pour atteindre au courage , nous , avec notre vie sans contrainte , nous supportons au moins aussi bien des dangers équivalents . " Oui , mais vingt-5 ans plus tard , Sparte avait vaincu et Athènes était soumise à la tyrannie . Puissions -nous , nous autres Français , tout en préservant notre vie sans contrainte , ne pas laisser se perdre le courage et d'abord le courage civique qui consiste à savoir , dans les moments essentiels , faire passer ses intérêts particuliers ou professionnels après l' intérêt général . L' intérêt général , aujourd'hui comme toujours , ce n' est pas l' immobilité , mais c' est la persévérance . C' est le refus de l' aventure autant que de la routine . C' est la conviction qu' il n' y a de progrès continu et de liberté garantie que dans la discipline nationale .
Mesdames et messieurs , je vous ai parlé politique , sans esprit de parti , croyez -le , mais en pensant à la France . Où pouvais -je le faire mieux qu' en cette assemblée d' hommes et de femmes qui ont , dès leur jeunesse , manifesté leur passion pour cette forme suprême de la connaissance et du gouvernement des sociétés humaines ?